lundi 1 mars 2010

SITAR

En session d'enregistrement au Blue Frog avec Ravi Chari au Sitar sur quelques nouvelles chansons, jean-Pierre me rappelle un passage de l'autobiographie de Ravi Shankar. Dans cet extrait jeune disciple de son guru révéré Ustad Allaudin Khan, connu sous le nom de Baba.

« Va, va t’acheter des bracelets !»

C’était un jour où il m’apprenait un exercice que je ne parvenais pas à jouer correctement : « Ah ! s’exclama-t-il, tu n’as aucune force dans ces poignets. Da da da. » Tout en criant il me frappa sur les mains. Je faisais de mon mieux et j’étais outré qu’il se mit en colère. Personne, jamais, ne m’avait parlé avec colère, même si, enfant gâté, je me conduisais mal. Quand Baba éleva la voix, je sentis la fureur plutôt que la peur monter en moi. Il s’était mis à m’insulter : « Va, va, va t’acheter des bracelets. Tu es une mauviette. Tu n’as aucune force. Tu ne peux même pas faire cet exercice ! » C’en était trop. Je me levai, sortis, fis mes bagages et marchai jusqu’à la gare. Je venais juste de manquer un train et tandis que j’attendais le suivant, je vis passer Ali Akbar, qui apercevant mes bagages, demanda ce qui arrivait. « Je ne resterai pas, lui dis-je, il m’a grondé aujourd’hui. » me regardant d’un air incrédule, Ali Akbar me demanda si j’étais devenu fou : « tu es la seule personne sur laquelle il n’ait jamais levé la main. Nous en sommes tous stupéfaits. Sais-tu ce qu’il m’a fait, à moi ? Pendant une semaine il m’a attaché chaque jour à un arbre, me battant et me refusant à manger. Et toi, tu te sauves parce qu’il t’a un peu grondé ! » Je m’entêtai : « je prends le prochain train. » A la fin Ali Akbar parvint à me persuader et je réintégrai ma chambre. Entre temps il avait prévenu sa mère, qui, à son tour, avait averti baba. Ali Akbar vint m’inviter à déjeuner et je me rendis chez eux. Ma (la mère d’Ali Akbar) m’accueillit en disant : « Entre. Tu vas bientôt partir, mais va donc passer quelques minutes auprès de ton Baba. J’allais le rejoindre et fis un pranam ; il était en train de découper mon portrait et de la placer dans un cadre. Nous ne dîmes mot ni l’un ni l’autre, mais je vis qu’il était ému. Au bout d’un moment, je finis par dire : « Je pars aujourd’hui. » lentement, il leva son regard sur moi et demanda : « C’est tout ? Je veux dire que je t’ai simplement dit de porter des bracelets et ça t’a blessé au point que tu veux nous quitter ? » Mes yeux étaient plein de larmes, je ne l’avais jamais vu ainsi. Il se leva et vint vers moi. « Tu te souviens sur la jetée de Bombay, ta mère a mis ta main dans la mienne et m’a demandé de s’occuper de toi comme de mon propre fils ? Depuis ce jour, je t’ai accepté pour fils et c’est ainsi que tu vas briser ce lien ? »

Il va sans dire que je ne partis pas. Et depuis lors, toutes les fois qu’il se met en colère, parce que j’ai fait quelque chose, il s’en va battre quelqu’un d’autre.

(Ravi Shankar, My music, my life, troisième partie. 1968 - Traduit de l’anglais par P. Osusky et N. Caron)

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